Je m’appelle Jazz Sethi et je viens d’Inde. Je vis depuis 12 ans avec un diabète de type 1 et depuis 3 ans avec un diabète insipide. Je témoigne ici parce que je pense que la vie est un bonbon qu’on doit partager.
Je dirige la Diabesties Foundation en Inde, un mouvement mondial destiné à permettre aux personnes atteintes de diabète de type 1 de se sentir entendues, comprises, soutenues et célébrées, avec une chaîne YouTube spécifique, des rencontres mensuelles, des tournées de sensibilisation, des programmes éducatifs, des campagnes de plaidoyer et plusieurs autres projets créatifs.
Je suis également artiste de scène professionnelle, toujours à la recherche d’un impact.
18 octobre 2021
Renaissance
« Les deux jours les plus importants de votre vie sont le jour où vous êtes né et le jour où vous découvrez pourquoi. »
- Mark Twain
Je suis née le 31 mars 1995, et ma deuxième naissance a eu lieu le 2 janvier 2009. Le jour où l’on m’a diagnostiqué un diabète de type 1 restera à jamais gravé dans ma mémoire. 12 ans plus tard, je me souviens encore de la couleur des murs de l’hôpital, du bip des appareils du service de réanimation et de la manière nonchalante dont le médecin a annoncé à mes parents : « bon, elle a un diabète de type 1 ».
La nouvelle a été un tsunami pour notre famille. Soudain, tout ce que je savais de la vie devait être vu sous un autre prisme. J’ai dû désapprendre des habitudes que j’avais passé des années à prendre et réapprendre les tâches quotidiennes avec plus de précaution et de prudence. Et ce qui m’a le plus frappé c’est que cela ne s’arrêterait jamais.
Vivre avec une maladie chronique invisible, c’est comme devoir en permanence tenir un ballon en équilibre. Chaque jour, il faut composer avec les hauts et les bas et s’injecter de l’insuline juste pour rester en vie. Il m’a fallu du temps pour faire la paix avec mon nouveau compagnon invisible. Et juste au moment où je semblais commencer à apprendre à nager dans cet océan, une autre vague s’est abattue sur moi.
Le 8 avril 2019, on m’a diagnostiqué un diabète insipide, quelque chose qui n’a rien à voir avec le diabète de type 1 (il faudrait en changer le nom). Une nouvelle MNT et une fois encore, nous sommes entrés en famille à l’hôpital pour entreprendre un nouveau voyage dans l’inconnu. Le traitement du DI est bien plus simple que celui du DT1 (ma vie s’est soudain remplie d’acronymes), mais il a été plus difficile à accepter. Ce pour quoi j’avais lutté pendant des années, me débarrasser du sentiment de « pourquoi moi ? » que le diabète de type 1 avait provoqué chez moi, faisait un retour en force.
Pendant toute mon adolescence je me suis sentie « différente ». Je vivais avec deux « diabètes » sans lien entre eux, mais dont le point commun était que j’avais besoin de quelque chose d’extérieur pour rester en vie. À peine venais-je de prendre une décision pour le DT1 que le DI frappait à ma porte, me rappelant à son bon souvenir. Je me sentais perdue, confuse et seule. Ce n’est que 10 ans plus tard que je me suis rendue compte que le fait d’être « différente » pouvait m’aider à faire la « différence ». J’ai voulu montrer que même si la gestion de plusieurs maladies chroniques semblait impossible, c’était faisable.
Et le jour où j’ai réalisé cela, j’ai découvert pourquoi j’étais née une deuxième fois.
18 octobre 2021
L’éveil
Nous naissons tous, puis nous renaissons lorsqu’on nous diagnostique une MNT et je pense que nous renaissons pour la troisième fois lorsque nous passons par un moment qui nous pousse à penser à d’autres personnes qui vivent avec des maladies similaires.
Dans mon cas, l’impact du diabète de type 1 et du diabète insipide dans ma vie, et le fait que j’étais centrée sur moi-même et obnubilée par ces maladies, tout cela a commencé à changer lorsque j’ai entendu les histoires d’autres personnes vivant avec des MNT. Lors d’un rassemblement de santé que nous avions organisé dans un village du Kutch (État de Gujarat, Inde), j’ai rencontré un homme dont l’un des deux fils vivait avec un diabète de type 1. Son autre fils était décédé dans un accident malheureux. Et il m’a dit : « mon fils est mort, malheureusement mon « bon » fils est mort ».
En l’espace d’un instant, tout ce que je savais du diabète s’est évaporé. Je n’avais jamais été témoin d’une stigmatisation à ce point frappante et directe. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point j’étais privilégiée au regard de mes maladies, ce qui a complètement changé mon point de vue.
Vivre avec plusieurs maladies chroniques c’est difficile, mais j’ai eu la chance de n’être jamais ouvertement stigmatisée et je n’ai pas eu à me battre pour l’accessibilité. Lorsque je me suis rendue compte des disparités si âpres et réelles existant en Inde, mon diabète est devenu notre diabète. Une jeune fille du Rajasthan s’est vue refuser plusieurs demandes en mariage parce qu’elle souffrait d’un DT1 et d’un problème d’audition et que les gens pensaient qu’elle était « défectueuse ». Tout à coup, j’ai vu des trous béants, des brèches visibles parce que je me concentrais sur eux et non sur moi-même. Et lorsqu’il y a des lacunes et que l’on peut finalement faire quelque chose pour les combler, ne serait-ce qu’en partie, alors... il faut les combler. Et au cours de cet effort, l’écrasant « pourquoi moi ? » s’est transformé en un « et si ? » plein d’espoir.
Avec mon organisation, Diabesties (Meilleurs potes de diabète), j’ai trouvé du réconfort à faire sourire des personnes atteintes de diabète, j’ai ressenti de la satisfaction à prendre la main d’un membre de leur famille qui avait peur et à créer une communauté fondée sur l’empathie, le courage et la force. Notre objectif est d’avoir un impact par la pédagogie et l’accompagnement communautaire, en donnant à celles et ceux qui vivent avec le diabète, bien souvent en plus d’autres maladies chroniques, un sentiment d’appartenance et donc d’être des « meilleurs potes » les uns pour les autres.
Les personnes souffrant de plusieurs MNT ne devraient pas se sentir inférieures ou moins capables, elles ne devraient pas craindre d’être le « mauvais fils » ni s’inquiéter de trouver un conjoint, car l’inclusion est un droit et non un privilège réservé à une élite.
18 octobre 2021
S’élever
« La santé de chacun où qu’il soit, est la santé de tous, partout. »
- Professeur Richard Skolnik
Les MNT avec lesquelles je vis ne font pas de discrimination. La prévalence du diabète de type 1 et du diabète insipide ne connait pas de frontière et ne fait pas de distinction de race, de genre, de classe ou d’âge. Mon éducation m’a permis d’avoir une réflexion critique et de me demander : « si moi qui vis dans une grande ville j’ai accès à des médicaments salvateurs, qu’il s’agisse d’insuline ou de desmopressine, pourquoi une fille vivant à Jamnagar (Gujarat), une petite ville du même État que moi n’y a pas accès ? »
On considère souvent que l’accès va de soi et que les personnes qui souffrent de maladies permanentes devraient pouvoir avoir accès à des médicaments salvateurs. Ce n’est malheureusement pas le cas et nous avons besoin d’une politique gouvernementale claire pour garantir que la santé ne soit pas un privilège mais un droit !
Outre le droit fondamental d’avoir accès à des médicaments abordables et de qualité, on se rend compte que vivre avec des maladies chroniques multiples nécessite également une éducation, un accompagnement psychologique, un soutien par les pairs, le perfectionnement professionnel des généralistes dans les zones rurales et urbaines, de la recherche, des politiques et une sensibilisation active.
Un jour, j’ai parlé avec une fille hospitalisée tous les mois pour une acidocétose diabétique. Je lui ai demandé : « tu ne prends pas de l’insuline ? » Elle a répondu naïvement : « si, une fois par semaine. » Elle avait accès à l’insuline, mais pas à une éducation de qualité autour du diabète. La confiance que donne l’éducation sur sa propre maladie est directement liée à la lutte contre la stigmatisation.
Nous avons besoin d’un système de santé avec une gestion à 360 degrés. Nous avons besoin d’un système de santé qui aille au-delà du « patient » et qui comprenne les besoins de la « personne ».
Les « mouvements de patients » ont prouvé qu’ils pouvaient modifier les protocoles et les pratiques conventionnels. Le mouvement « We Are Not Waiting » autour du diabète de type 1 en est un exemple. Des pancréas artificiels « faits‑maison » ont été créés, mettant les industriels au défi d’accélérer le déploiement de nouvelles technologies. Ils n’ont pas attendu dans l’espoir d’un changement, ils ont pris les choses en main et l’ont fait eux‑mêmes.
J’invite instamment les personnes vivant avec plusieurs MNT à se concentrer sur ce qui à leurs yeux constitue des failles dans le système de santé. Pour moi, c’est l’accès aux médicaments salvateurs, la stigmatisation et le manque d’éducation. Ensuite, faites tout ce qui est en votre pouvoir, même si cela signifie simplement aider une autre personne, pour faire changer les choses. Le cercle d’influence s’élargira et petit à petit l’impact également.
Car, comme le dit le proverbe, « On s’élève en élevant les autres ».
Carnets MNT
Je vis depuis 12 ans avec un diabète de type 1 et depuis 3 ans avec un diabète insipide. Je partage mon histoire et celle d'autres personnes de ma communauté afin d'encourager les décideurs à mieux concevoir les systèmes de santé en fonction des besoins de la « personne ». Je pense que la vie est un bonbon qu’on doit partager, et dans le cas des personnes vivant avec des MNT, ce sont nos histoires qui peuvent forger la riposte à ces maladies à l’avenir.
Jazz Sethi, expérience vécue de diabète, Inde
À PROPOS DES CARNETS MNT
Les Carnets MNT utilisent des approches multimédia riches et immersives pour partager un vécu afin de susciter le changement, en utilisant un format de discours public.