Bonjour, je m’appelle Joseph Rukelibuga, je suis rwandais. Je vis depuis 14 ans avec le diabète de type 2 et l’hypertension, et depuis le 20 juin 2016 avec un accident vasculaire cérébral (AVC). Je suis vétérinaire à la retraite, spécialiste de la santé publique, survivant d’un AVC et président de Stroke Action Rwanda, une organisation d’entraide autour de l’AVC fondée par des survivants d’AVC au Rwanda.
Je témoigne ici parce que je souhaite saluer l’impact que les prestataires de soins de santé ont eu sur mon parcours de MNT, malgré des conditions de travail difficiles. Mon objectif est également d’encourager les personnes ayant une expérience directe des MNT à briser le silence autour de ces soi-disant « tueurs silencieux » et à partager leurs difficultés et les leçons tirées de leur expérience, car il s’agit d’un outil puissant pour le plaidoyer autour des MNT et la sensibilisation des décideurs et autres parties prenantes.
23 mai 2022
Connaître et comprendre mes MNT
Je vis avec le diabète et l’hypertension depuis 2007. Les deux diagnostics ont été posés en même temps, mais je n’ai jamais su quelle maladie avait été la première, ni quand elle était apparue.
J’ai travaillé dans l’enseignement supérieur pendant huit ans et j’étais sur le point de commencer un nouvel emploi dans une organisation internationale lorsque l’employeur a demandé un certificat médical. Le médecin a conclu que j’avais peut-être du diabète et de l’hypertension. J’avais eu des symptômes tels que la fatigue, mais je pensais que cela était dû à mes horaires de travail exigeants. Le médecin m’a conseillé de laisser passer le week-end pour me détendre et faire baisser ma tension, car mon nouvel emploi nécessitait un certificat médical attestant de ma bonne santé.
Malheureusement, rien que de penser à la possibilité de ne pas pouvoir avoir ce poste, ma tension artérielle a atteint des niveaux alarmants. Par pure bonté d’âme, le médecin a mentionné la première valeur (plus basse) et m’a souhaité bonne chance. Par l’intermédiaire de mon nouvel employeur, j’ai subi des examens médicaux supplémentaires, qui ont confirmé que j’avais un diabète de type 2 et de l’hypertension. J’ai obtenu le poste mais on m’a demandé instamment de réduire ma glycémie et ma tension dans un délai de trois mois. J’y suis parvenu avec l’aide d’un médecin de la clinique du diabète de l’Association rwandaise du diabète, qui m’a conseillé et prescrit des médicaments de manière humaine et professionnelle.
Pour la tension artérielle, j’ai trouvé un bon cardiologue privé, ce qui coûte très cher lorsque l’on doit payer de sa poche. Heureusement, j’étais couvert par une assurance médicale fournie par mon employeur. Le même cardiologue me suit depuis 15 ans et notre communication est bonne ; il a du temps pour moi et est bien informé. Comme je vis avec plusieurs MNT, il a rapidement commencé à me prescrire des médicaments pour les deux.
L’AVC est survenu de manière inattendue vers 4 heures du matin en juin 2016. Ma femme m’a emmené d’urgence à l’hôpital le plus proche, où un médecin généraliste m’a mis sous perfusion pour réduire ma glycémie et ma tension. J’ai ensuite été admis dans le service général de 15 à 20 patients pour attendre un médecin spécialiste, qui travaillait de nuit dans un autre hôpital. Il est arrivé à presque 9 heures du matin et après examen de mon dossier, m’a recommandé une IRM. Malheureusement, les résultats n’ont pas été concluants.
La confirmation d’un AVC ischémique avec hémiplégie gauche a été obtenue le lendemain lors d’une échographie de la carotide. Le médecin m’a prescrit de la cardioaspirine et m’a conseillé de poursuivre le traitement contre le diabète et l’hypertension. Un kinésithérapeute attentionné et compétent m’a également prescrit une kinésithérapie de réadaptation.
À la réflexion, je me rends compte que malgré des conditions de travail difficiles, les médecins m’ont sauvé la vie, je leur en suis très reconnaissant.
4 juillet 2022
La réadaptation, une nécessité cruciale pour les personnes vivant avec une MNT au Rwanda
Après une semaine d'hospitalisation, je suis sorti de l'hôpital parce que j’y avais été admis dans les trois heures suivant l'apparition des symptômes de mon AVC. Cependant, mon collègue Wisdom avait, lui, fait un AVC hémorragique et était arrivé à l'hôpital 24 heures après l'apparition des symptômes parce qu'on lui a refusé l'accès à la seule ambulance disponible dans le centre médical le plus proche. En raison du manque de ressources, le ministère rwandais de la Santé a dû prendre des décisions difficiles, notamment celle de limiter les ambulances dans les centres médicaux au transport des femmes enceintes, en raison des taux élevés de mortalité maternelle et infantile.
Une fois que Wisdom est finalement sorti de l’hôpital, le médecin lui a recommandé de la kinésithérapie sans expliquer pourquoi, où et pendant combien de temps. Cette période de transition peut être difficile, et le Rwanda souffre d’une pénurie de prestataires de soins de santé hautement qualifiés pour fournir des conseils et un accompagnement efficaces. J'ai été renvoyé chez moi avec une perte d'autonomie physique, un manque de soignants formés et des sanitaires inadaptés. J'étais comme un enfant qui devait de nouveaux faire ses premiers pas dans la vie. Les hôpitaux de district ruraux manquent d'équipement et de moyens de transport, alors avant de réussir à accéder à la kinésithérapie, Wisdom a développé une dysphagie, ce qui signifie qu'il doit désormais être nourri à l'aide d'une sonde nasopharyngée. Il est devenu trop faible pour faire de la kinésithérapie.
Une autre collègue, Cindy, a suivi pendant un an une kinésithérapie de qualité et a constaté une nette amélioration. Je me suis donc rendu à la clinique et j'ai reçu des informations détaillées sur les AVC, informations que personne ne m'avait données auparavant, notamment les différents types, les symptômes, les méthodes de prévention, les étapes du rétablissement et la réadaptation. Cependant, ces services sont chers sans assurance. Chaque citoyen peut souscrire une assurance santé communautaire, mais la kinésithérapie n’est pas prise en charge.
La kinésithérapie et les soins spécialisés sont couvert par un régime d’assurance supérieur fourni par les employeurs. Malheureusement, après un AVC, la plupart des patients sont licenciés, même si la cause de leur AVC est le stress lié à leurs conditions de travail. Le régime d’assurance médicale supérieur ne couvre que 20 séances de kiné par mois, un seuil facilement franchi avec la réadaptation post-AVC. Au-delà, une autorisation spéciale est requise après une interruption temporaire de la couverture.
Il est difficile pour les collègues sans assurance médicale de payer de leur poche les services de santé. Halloween, un collègue souffrant de complications liées à un diabète de type 2, n'avait pas les moyens de payer l'amputation de sa jambe. L'hôpital a finalement demandé à la municipalité de la prendre en charge.
En raison des obstacles que nous avons identifiés à travers ces expériences, Cindy et moi avons créé un groupe sur les réseaux sociaux où nos collègues vivant avec des MNT peuvent se réunir et partager des informations sur leurs maladies. J'ai ensuite créé et dirigé Stroke Action Rwanda, pour que notre communauté sensibilise aux MNT et plaide en faveur d’une prise en charge appropriée de ces maladies.
9 août 2022
Le temps s’épuise pour modifier la riposte aux MNT
Au Rwanda, comme dans tout autre pays en développement, les MNT sont devenues une épidémie invisible. Ces maladies provoquent la majorité des décès annuels, dont beaucoup sont prématurés et évitables. Chaque jour, le nombre de personnes ayant une expérience directe d'une ou plusieurs MNT augmente de manière disproportionnée au point de dépasser les capacités du système de santé.
Grâce à mon expérience directe de vie avec de multiples MNT et à mon propre programme de plaidoyer en faveur de ces maladies, j'ai beaucoup appris sur les lacunes de la prestation des services liés aux MNT et de l'accessibilité financière des soins et des médicaments, ainsi que sur le manque de services de réadaptation de qualité dans les zones rurales pour les patients atteints de MNT et souffrant d’incapacités graves.
J'ai observé un retard dans le diagnostic des MNT, qui est dû à l'insuffisance de la formation des prestataires de soins de santé, mais aussi à l'absence pure et simple ou au non-respect des directives relatives à la prise en charge des patients atteints de ces maladies.
Mon vécu m'a appris que la capacité de la communauté à sensibiliser aux MNT et à dépister ces maladies au sein de la population pour prévenir des complications futures lorsque les patients se présentent dans les hôpitaux de district, est très limitée.
Je suis tout à fait d’accord pour dire que toutes les personnes vivant avec des MNT doivent pouvoir accéder facilement à des services de qualité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui au Rwanda.
Je demande au ministère de la Santé de revoir la dotation en personnel et en équipement des centres médicaux pour leur permettre d'effectuer un dépistage précoce des MNT et d'instaurer un dialogue en fournissant des informations de base sur les MNT à la communauté.
J'invite également le ministère de la Santé à revoir la liste des médicaments essentiels pour y inclure ceux destinés aux MNT, et à veiller à ce qu'ils soient disponibles partout et à tout moment, gratuitement, pour la tranche la plus pauvre de la population.
Plus précisément, pour les personnes victimes d'un accident vasculaire cérébral, j'invite le ministère de la Santé à créer des unités de soins pour les AVC dans les hôpitaux de référence afin que les personnes subissant un AVC ne passent pas trop de temps aux urgences, ainsi qu'à généraliser les protocoles de prise en charge des AVC aigus préhospitaliers et hospitaliers dans l'ensemble du système de santé. En outre, le ministère de la Santé devrait veiller à ce qu'il y ait un nombre suffisant de professionnels de la santé formés et d'hôpitaux équipés pour le traitement et la prise en charge des AVC.
Enfin, j’appelle le ministère de la Santé à préconiser la création de centres de réadaptation post-AVC bien équipés dans les zones rurales.
Carnets MNT
Je souhaite saluer l’impact que les prestataires de soins de santé ont eu sur mon parcours de MNT malgré des conditions de travail difficiles, et encourager d’autres personnes vivant avec des MNT à partager leurs défis et les leçons tirées de leur expérience.
Joseph Rukelibuga, expérience vécue de plusieurs maladies chroniques, Rwanda
À PROPOS DES CARNETS MNT
Les Carnets MNT utilisent des approches multimédia riches et immersives pour partager un vécu afin de susciter le changement, en utilisant un format de discours public.